Cartographie de la recherche sur les politiques climatiques grâce au Machine Learning : disparités entre attention scientifique, densité politique et émissions

Découvrez comment la cartographie des politiques climatiques révèle des disparités entre attention scientifique et émissions, utilisant le Machine Learning.

## Introduction : Le Défi Urgent de la Mitigation Climatique et le Rôle Essentiel de la Recherche

Le changement climatique, alimenté par des émissions de gaz à effet de serre (GES) en constante augmentation, représente l’un des défis les plus pressants de notre époque. Les engagements actuels en matière de réduction des émissions, formalisés dans les Contributions Déterminées au niveau National (CDN) dans le cadre de l’Accord de Paris, sont largement insuffisants pour limiter le réchauffement climatique à un niveau « bien en dessous de 2°C » par rapport aux niveaux préindustriels, l’objectif central de cet accord historique. En réalité, la trajectoire actuelle des émissions nous dirige vers un réchauffement bien supérieur, avec des conséquences potentiellement catastrophiques pour les écosystèmes, les sociétés humaines et l’économie mondiale.

La nécessité d’une action climatique ambitieuse et rapide est donc indéniable. Atteindre la neutralité carbone d’ici le milieu du siècle, un objectif impératif pour éviter les pires impacts du changement climatique, exige une transformation profonde et systémique de nos systèmes énergétiques, industriels, agricoles et de transport. Cette transformation nécessitera non seulement des innovations technologiques majeures, mais aussi des politiques publiques efficaces et bien conçues, capables d’inciter à la réduction des émissions à grande échelle et de favoriser une transition juste et équitable vers une économie bas carbone.

Dans ce contexte, la recherche scientifique sur les politiques climatiques joue un rôle crucial. Elle fournit les connaissances et les informations nécessaires pour concevoir, évaluer et améliorer les politiques climatiques, en identifiant les instruments les plus efficaces, en comprenant les facteurs qui influencent leur mise en œuvre et leur acceptabilité, et en évaluant leurs impacts environnementaux, économiques et sociaux. Cependant, le paysage de la recherche sur les politiques climatiques est vaste et complexe, englobant une multitude de disciplines, de secteurs et d’approches méthodologiques. Cette complexité rend difficile la synthèse et l’application des connaissances existantes, entravant ainsi les efforts visant à accélérer l’action climatique.

La présente étude vise à relever ce défi en utilisant des techniques avancées d’apprentissage automatique (Machine Learning) et de traitement du langage naturel (NLP) pour cartographier systématiquement la littérature scientifique sur les politiques climatiques. Cette « carte systématique vivante » de la recherche sur les politiques climatiques offre une vue d’ensemble complète et structurée du paysage de la recherche, permettant d’identifier les tendances, les lacunes et les domaines d’intérêt émergents. En comparant la distribution de la recherche avec la densité des politiques mises en œuvre et la répartition des émissions, cette étude révèle des disparités importantes entre l’attention scientifique, l’action politique et les besoins de réduction des émissions, mettant en évidence les domaines où des efforts supplémentaires sont nécessaires pour aligner la recherche, la politique et l’action climatique.

## Contexte et Importance de la Cartographie Systématique de la Recherche sur les Politiques Climatiques

La prolifération de la littérature scientifique sur les politiques climatiques, bien que bénéfique en termes de génération de connaissances, pose un défi de taille en matière de synthèse et d’application de ces connaissances. Les décideurs politiques, les chercheurs et les autres acteurs clés ont besoin d’une vue d’ensemble claire et concise du paysage de la recherche pour prendre des décisions éclairées et orienter leurs actions. Les revues systématiques et les méta-analyses, qui synthétisent les résultats de multiples études primaires, sont des outils précieux pour répondre à ce besoin. Cependant, la réalisation de revues systématiques traditionnelles, basées sur une analyse manuelle de la littérature, est un processus long et coûteux, qui peut difficilement suivre le rythme de la croissance exponentielle de la recherche.

La cartographie systématique, une approche complémentaire de la revue systématique, vise à fournir une vue d’ensemble plus large et plus descriptive du paysage de la recherche. Elle consiste à identifier, classer et cartographier les études pertinentes, en mettant en évidence les caractéristiques clés de la recherche, telles que les instruments de politique étudiés, les secteurs concernés, les régions géographiques couvertes et les méthodes d’analyse utilisées. La cartographie systématique ne vise pas à synthétiser les résultats des études, mais plutôt à fournir un cadre pour organiser et comprendre la littérature, à identifier les lacunes et les domaines d’intérêt émergents, et à orienter les recherches futures.

L’utilisation de techniques d’apprentissage automatique et de traitement du langage naturel (NLP) offre un potentiel considérable pour automatiser et accélérer le processus de cartographie systématique. Ces techniques permettent d’analyser de grands volumes de texte de manière efficace et objective, en identifiant les études pertinentes, en extrayant les informations clés et en classant les études selon des critères prédéfinis. L’apprentissage automatique peut également être utilisé pour créer des « cartes systématiques vivantes », qui sont mises à jour en temps réel avec les nouvelles publications, fournissant ainsi une vue d’ensemble constamment à jour du paysage de la recherche.

Cette étude s’inscrit dans cette tendance en utilisant des techniques d’apprentissage automatique pour cartographier la littérature scientifique sur les politiques climatiques. Elle contribue à combler le fossé entre la recherche et la politique en fournissant une ressource accessible et conviviale pour les décideurs politiques, les chercheurs et les autres acteurs clés. En révélant les disparités entre l’attention scientifique, la densité des politiques et les émissions, cette étude met en évidence les domaines où des efforts supplémentaires sont nécessaires pour aligner la recherche, la politique et l’action climatique.

## Définition et Typologie des Politiques Climatiques

Une étape cruciale dans la cartographie de la littérature sur les politiques climatiques est de définir clairement ce que l’on entend par « politique climatique » et d’établir une typologie complète et cohérente des instruments de politique climatique. Cette tâche est rendue complexe par la diversité des politiques qui peuvent influencer les émissions de GES, qu’elles soient explicitement motivées par des objectifs climatiques ou qu’elles aient des effets indirects sur les émissions.

La présente étude adopte une approche hybride, qui prend en compte à la fois l’instrument de politique lui-même et l’objet de l’étude. Une politique est considérée comme une « politique climatique » si elle est analysée dans le contexte du changement climatique et des émissions de GES. Cela signifie que les études sur les politiques qui ont des effets indirects sur les émissions, telles que les politiques d’investissement dans les transports publics, ne sont incluses que si elles mentionnent explicitement le changement climatique ou les émissions de GES. Cette approche permet de définir des limites claires et cohérentes pour l’étude, tout en reconnaissant l’importance des politiques qui contribuent à la mitigation du changement climatique, même si elles ne sont pas explicitement conçues à cette fin.

En ce qui concerne la typologie des instruments de politique climatique, cette étude propose une nouvelle typologie à trois niveaux, qui s’inspire des typologies existantes utilisées dans les principales bases de données sur les politiques climatiques, telles que la base de données « Climate Change Laws of the World » (CCLW) et la « Climate Policy Database » du NewClimate Institute (CPDB). La typologie proposée est structurée autour des moyens par lesquels les gouvernements ou les municipalités poursuivent leurs objectifs de politique climatique. Au niveau supérieur, les moyens peuvent être :

  • Accords : accords avec d’autres acteurs, qu’ils soient étatiques ou non étatiques.
  • Instruments économiques : financement ou modification des incitations économiques.
  • Instruments réglementaires : mandats concernant ce que les autres acteurs doivent ou ne doivent pas faire.
  • Information, éducation et formation : fourniture d’informations ou renforcement des capacités dans l’espoir de modifier le comportement des autres acteurs.
  • Gouvernance, stratégies et objectifs : fixation d’objectifs ou de stratégies, ou modification des arrangements institutionnels.

Le deuxième niveau de la hiérarchie ajoute des détails sur le type spécifique d’instrument, par exemple une taxe carbone par rapport à une subvention, tandis que le troisième niveau offre des spécifications supplémentaires, par exemple en distinguant les taxes carbone des systèmes d’échange de quotas d’émission, qui modifient tous deux les incitations économiques en fixant un prix au carbone.

Cette typologie permet de classer de manière systématique et cohérente la diversité des instruments de politique climatique étudiés dans la littérature scientifique. Elle facilite également la comparaison des résultats de différentes études et l’identification des instruments les plus efficaces dans différents contextes.

## Méthodologie : Apprentissage Automatique et Analyse de la Littérature

La présente étude utilise une approche méthodologique rigoureuse et innovante, combinant des techniques d’apprentissage automatique et de traitement du langage naturel (NLP) avec une analyse manuelle de la littérature. La méthodologie comprend les étapes suivantes :

  1. Collecte des données : la littérature pertinente est collectée à partir de la base de données bibliographique en accès libre OpenAlex, en utilisant une requête conçue pour identifier l’ensemble de la littérature sur le climat.
  2. Sélection et annotation manuelles : un échantillon de documents est sélectionné et annoté manuellement par une équipe d’experts, en utilisant la typologie des politiques climatiques et les autres critères définis dans l’étude.
  3. Entraînement des modèles d’apprentissage automatique : des modèles d’apprentissage automatique sont entraînés sur l’échantillon de documents annotés manuellement, afin d’apprendre à identifier et à classer les politiques climatiques dans la littérature.
  4. Application des modèles à grande échelle : les modèles entraînés sont appliqués à l’ensemble de la littérature collectée, afin d’identifier et de classer les politiques climatiques à grande échelle.
  5. Analyse des résultats : les résultats de l’analyse sont analysés afin d’identifier les tendances, les lacunes et les disparités dans la recherche sur les politiques climatiques.

L’utilisation de modèles d’apprentissage automatique pré-entraînés, tels que ClimateBERT, qui a été pré-entraîné sur des textes pertinents pour le climat, permet d’améliorer la précision et l’efficacité de l’analyse. L’évaluation rigoureuse des performances des modèles, à l’aide de mesures telles que le score F1, permet de quantifier l’incertitude associée aux résultats et de garantir la fiabilité des conclusions.

## Résultats et Discussion : Disparités entre Attention Scientifique, Densité Politique et Émissions

Les résultats de l’étude révèlent des disparités importantes entre l’attention scientifique, la densité politique et les émissions, mettant en évidence les domaines où des efforts supplémentaires sont nécessaires pour aligner la recherche, la politique et l’action climatique.

  • Croissance de la littérature : le nombre d’articles pertinents pour les instruments de politique climatique est estimé à 84 990, dont 26 % ont été publiés depuis 2020.
  • Instruments les plus étudiés : les instruments les plus étudiés sont les instruments économiques et les stratégies et objectifs de gouvernance.
  • Variations sectorielles : le type d’instrument étudié varie considérablement selon les secteurs. Par exemple, dans le secteur industriel, les études sur les instruments économiques sont beaucoup plus nombreuses que celles sur les instruments réglementaires.
  • Études ex-ante et ex-post : les études ex-ante, qui fournissent des modélisations ou d’autres preuves prospectives sur les effets potentiels ou prédits d’une politique, sont beaucoup plus nombreuses que les études ex-post, qui peuvent nous dire quelles politiques ont fonctionné, dans quelles conditions et pourquoi.
  • Disparités géographiques : les États-Unis et la Chine, les deux plus grands émetteurs, sont étudiés dans une proportion importante de la littérature, mais leur part des émissions de GES est considérablement plus importante.
  • Instruments dans la science et la politique : l’attention scientifique accordée aux politiques de différents types peut correspondre plus ou moins à la part des politiques de différents types d’instruments dans chaque pays.
  • Couverture sectorielle variable : un grand nombre de documents traitent du secteur de l’énergie ou des réductions d’émissions intersectorielles.

## Conclusion : Vers une Action Climatique Informée par la Recherche

Cette étude démontre le potentiel des techniques d’apprentissage automatique pour cartographier systématiquement la littérature scientifique sur les politiques climatiques et pour identifier les disparités entre l’attention scientifique, la densité politique et les émissions. Les résultats de l’étude peuvent aider à orienter les efforts de recherche futurs, à améliorer la conception et la mise en œuvre des politiques climatiques et à accélérer l’action climatique à l’échelle mondiale.

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